C'est ma ville, j'y suis née, j'y ai grandi, j'y ai appris, j'y ai fondé une famille... Je l'ai fuie en entrant dans l'âge adulte, elle m'étouffait, toute grise et dépressive de ses fermetures d'usines. J'y suis revenue. Je l'ai quittée attirée par les lumières de Shanghai, un autre monde. J'y suis revenue, par habitude, pour retomber sur mes pieds, parce que c'est ici que j'ai mes racines, ma famille, mes amis. Il est donc temps que je lui consacre quelques lignes.
La vue de mon balcon. On peut trouver pire |
Wikipedia nous dit : "La Chaux-de-Fonds est une ville suisse du canton de Neuchâtel, située à environ 70 km au nord-ouest de Berne dans le massif du Jura, à 10 km de la frontière avec la France. C'est la première commune du canton de Neuchâtel avec 38 694 habitants fin 2013."
Un joli kikajon (cabane de jardin) de mon quartier |
On dit aussi que c'est la troisième ville de Suisse romande. En taille, peut-être, quoiqu'il faut encore voir s'il est question de villes ou d'agglomérations. Mais admettons. En importance, par contre, nous sommes bien loin de ce troisième rang en ce qui concerne notre popularité.
Un collègue zurichois en visite guidée dans ma ville m'a dit un un jour "c'est incroyable, c'est la ville des 3 C et tu ne m'en avais pas parlé !" 3 C ? 3 C, j'ai cherché, creusé, Culture (il y en a plutôt beaucoup pour une ville de cette taille, des musées, des centres culturels, des expositions...), Communisme (une réputation de ville rouge, dont le rouge pâlit me semble-t-il), mais le 3e C ? Je n'y étais pas du tout. Non, cette ville est celle du Corbusier, de Cendrars et de Chevrolet ! Ça alors, quel bon slogan... Les guides sont les champions du marketing toutes catégories. Si Chevrolet y est bien né, il n'y est resté que 6 semaines (sa famille a déménagé en Ajoie, puis en France, avant de traverser l'Atlantique); dire que La Chaux-de-Fonds l'a marqué me paraît un peu abusif. Cendrars et Le Corbusier ont fui la ville dès qu'ils l'ont pu. Était-ce à cause de la noirceur des sapins, de la rigueur du climat (à 1000m d'altitude), du taux élevé des impôts (on dit que nous avons un mois d'été et onze mois d'impôts) ou du manque d'éclat de certains esprits locaux ?
Blaise Cendrars |
Une statue "à l'envers" de Chevrolet qui a provoqué quelques remous |
La Villa Turque de Le Corbusier |
Est-ce que je noircis le trait ? Non. Je remarque que nous nous cantonnons dans un rôle de Calimero pour une raison que je ne comprends pas. OK, nous avons 5°C de moins que les gens de la plaine. Et alors ?
Est-ce que ça leur donne le droit de nous mépriser pareillement, est-ce que ça nous oblige à nous dénigrer nous-mêmes ? Il y a des tas de gens qui ne culpabilisent pas de vivre dans des endroits nettement plus froids. D'accord, nous ne voyons pas le lac de notre fenêtre, mais qu'on ne me raconte pas que chaque individu en plaine a une vue plongeante sur une gouille d'eau ! Et la nature environnante, les verts des forêts, les champignons en automne, les hivers bleus glacés, la neige qui amortit nos pas, on pourrait bomber le torse, mince ! C'est joli par ici, depuis les années 70, nous avons mis de la couleur dans nos rues qui sont devenues joyeuses.
On sait faire de belles montres, on sait accueillir nos hôtes. Il y a des endroits, des petits troquets qui donnent envie de s'arrêter, de se faire des moustaches avec un chocolat brûlant, de refaire le monde en dégustant des tapas... Ici, pas besoin de nous expliquer les règles de la Fête des voisins; nos voisins souvent on les connaît, on les salue, on les appelle par leur nom, parfois on les tutoie et on prend l'apéro avec eux si le temps le permet. On arrose leurs plantes et eux les nôtres quand les uns ou les autres s'absentent. Dans les ascenseurs des centres commerciaux, il est de bon ton de claironner "Bonjour m'sieurs-dames" en entrant (ce que j'oublie encore un peu de faire...). Les loyers sont relativement abordables et on peut se déplacer quasi partout à pied (bien que nous connaissions nous aussi cette magnifique invention qu'est la voiture).
Le café l'Entre-Deux (photo Loucaro - http://louisecamillerobert.blogspot.ch/) |
Le centre culturel ABC |
De mon poste d'observation (la radio suisse s'écoute aussi à Shanghai), j'ai constaté que nous étions très bon pour décider de ne rien décider, de perdre ainsi notre temps, notre fric et notre crédibilité. Des exemples ? Volontiers. Venir de la plaine se faisait par la route grâce à un col qui décourageait certains de nous rendre visite. On (le canton, la Confédération) nous a fait une série de tunnels, mais on a oublié d'anticiper, de se dire que le nombre de voitures allait augmenter. C'était il y a 20 ans, maintenant, nous n'osons plus trop demander une adaptation, un nouveau tunnel, notre route a le goût de bouchon. Idem pour le train. Le premier train reliant La Chaux-de-Fonds au réseau ferré suisse a été inauguré en 1860, nous ne comptions pas pour beurre à ce moment-là. Maintenant, nous sommes frileux, nous ne voulons pas endetter les générations futures, conquérir le monde n'est plus à l'agenda. Et puis nous nous efforçons de ne fâcher personne : nous avons une Place du marché qui est piétonne pour faire plaisir aux piétons, ... oui mais pas tout à fait puis qu'elle fait aussi office de parking pour faire plaisir aux commerçants. Sans parler d'affaires politiques qui ne parviennent pas à trouver d'issues.
Donc, j'en suis à me demander si je vais encore aimer cet endroit, si je vais savoir y retrouver mes marques, savourer la qualité de vie, supporter ce repli sur soi.
J'aurais pu parler de l'histoire de ma ville, son inscription au patrimoine mondial de l'UNESCO. Je le ferai, mais une autre fois.
Vivre à la Tchaux, c'est comme le vélo. Ça ne se perd pas!
RépondreSupprimerC'est vrai. Mais c'est le regard des gens d'ailleurs qui m'étonne. On m'a dit "mais quelle drôle d'idée de retourner là-haut!"
SupprimerJ'avais aussi prévu de glisser dans ce billet qu'un casseur de bijouterie avait choisi notre ville parce La Chaux-de-Fonds était "un bled paumé où il y a des horlogers". Un slogan que l'office du tourisme ne va pas acheter, je suppose. Merci de m'avoir donné l'occasion de réparer cet oubli.